Chapitre 40

 

La première bataille du Mythos qui attendait Sébastian avait eu lieu un millénaire plus tôt, mais était restée célèbre pour sa brutalité.

Cette nuit, il allait aider Kaderin à sauver ses sœurs, en sachant parfaitement qu’il s’apprêtait à s’immerger dans un conflit meurtrier.

Leur stratégie avait été mûrement réfléchie. Ils avaient décidé de prendre l’appartement pour base, parce que, s’ils se rendaient à Val-Hall, les Valkyries de la maisonnée chercheraient à éliminer Sébastian. Kaderin n’avait pourtant pas envie de rester à Londres, en pleine ville, car elle craignait que ses sœurs « ne supportent pas le transfert si bien que ça ».

La perspective de les revoir au bout de mille ans la rendait nerveuse. Il lui avait même fallu une heure pour choisir une tenue qui n’ait pas l’air trop moderne. En la regardant s’habiller, assis sur le lit, Sébastian avait pensé à ses deux jours de convalescence.

— Il va falloir plus longtemps, lui avait-elle dit, le premier matin.

— Je fais confiance à mon infirmière, avait-il répondu, souriant.

Ce temps-là, ils l’avaient mis à profit pour parler de tout – quand ils n’étaient pas l’un dans l’autre. Elle lui avait raconté à quoi ressemblaient ses sœurs ; il lui avait révélé ce qui était arrivé à sa famille. Il en était sûr, à présent : il pouvait tout lui dire, et elle lui rendait la pareille.

Il la découvrait par ce qu’elle avait vécu… mais aussi par le bonheur qu’il éprouvait à vivre avec elle. À lui embrasser les oreilles quand il voulait, pour le simple plaisir de les voir s’agiter. À examiner ses mains délicates pendant des heures, à les faire disparaître complètement dans les siennes puis à les frotter du bout des doigts. À la regarder dormir – enfin, quand il ne reposait pas à côté d’elle, épuisé. Sa fiancée était aussi insatiable que lui.

Elle s’abandonnait sans entraves, libre de son corps, lui donnant tout ce qu’il voulait, tout ce dont il avait rêvé, et même davantage. Il lui avait avoué qu’il manquait d’expérience, et elle avait visiblement décidé de lui faire découvrir ce qu’il avait raté par le passé.

Bref, leur complicité confirmait ce qu’il avait su dès le début : il ne voulait plus jamais se séparer d’elle.

La seule ombre au bonheur de Sébastian, c’était la certitude que la clé fonctionnait bel et bien.

Il se réjouissait que Kaderin ait la possibilité de sauver ses sœurs, évidemment, mais il se disait aussi qu’il aurait pu retourner en arrière chercher sa propre famille. S’il s’y était pris autrement, peut-être auraient-ils tous les deux eu la chance de…

— Prêt ? demanda-t-elle, enfin habillée, en jean et veste mi-longue, l’épée accrochée dans son dos.

Il acquiesça en se levant pour prendre la sienne. Quand il rejoignit sa compagne, elle leva la clé, l’air interrogateur.

— Tu es sûr que tu veux venir ? Ça va être… intense.

Il se redressa de toute sa taille.

— J’ai passé dix ans à me battre au premier rang, tu te rappelles ?

Sur ces mots, il lui rejeta sa lourde tresse derrière l’épaule. Elle n’avait toujours pas l’air convaincue.

— Ne glisse pas sous le nez de mes sœurs, OK ? Et essaie de fermer ta belle bouche. (Il ouvrit de grands yeux.) Tes crocs… Je ne veux pas qu’elles les voient. Elles tenteront vraiment de te tuer, tu sais.

— Tu es magnifique, quand tu es nerveuse.

Il lui donna un baiser profond, quoique bref.

— Ton épée est prête ? s’inquiéta-t-elle, presque haletante. (Il sourit.) Je… Ne te fais pas tuer, Bastian, s’il te plaît. (Elle déglutit.) D’accord ?

Il prit sa main libre pour y déposer un baiser.

— Je vais faire de mon mieux.

Elle leva la clé, comme lui quelques jours plus tôt. Le portail temporel s’ouvrit. Ils échangèrent un regard puis le franchirent, main dans la main.

L’enfer les accueillit.

On se serait cru sous un dôme noir, en plein tremblement de terre, car le tonnerre secouait le sol à la manière d’un canon gigantesque. Sébastian connaissait la scène par les souvenirs de Kaderin, mais rien n’aurait pu le préparer à la réalité. La foudre déchirait le ciel. Partout, des Valkyries hurlantes décapitaient des vampires, pendant que d’autres vampires déchiquetaient la gorge de Valkyries vaincues.

Jamais il n’avait vu de membres de la Horde. Ils étaient pires que dans ses rêves, avec leurs yeux rouges de fous furieux.

— Là-bas ! Je les vois ! s’écria sa compagne, qui fouillait du regard la vallée en contrebas.

Mais, déjà, il brûlait de se porter à l’aide d’une guerrière qu’une sangsue deux fois plus grande qu’elle venait de jeter à terre. Sans doute Kaderin comprit-elle à son expression ce qui lui passait par la tête.

— Je sais, Bastian, mais ça ne changera rien à rien… sauf que tu risques de te faire tuer. Ou qu’on n’arrivera pas à repasser la porte avec mes sœurs.

Il acquiesça.

— On y va.

Ce qui ne l’empêcha pas de glisser jusque derrière le vampire pour le décapiter. Kaderin fronça les sourcils, mais il savait qu’elle ne lui en voulait pas réellement. Ils descendirent en courant vers la vallée, où ses deux sœurs combattaient à l’épée, arrosées de sang.

Lorsque la jeune femme s’arrêta, le regard rivé sur elles, déglutissant avec peine, Sébastian s’aperçut que ses sœurs lui ressemblaient trait pour trait, mais que l’une était plus grande, l’autre plus petite ; l’une rousse, l’autre brune.

Kaderin haletait, les yeux embués. Il la prit doucement par le menton pour lui tourner la tête vers lui.

— Allez, on les emmène.

 

Elle acquiesça en se frottant la joue contre ses doigts puis se dégagea avant de lancer, dans sa langue maternelle :

— Rika, Dasha ! Venez vite !

Ses sœurs ne lui jetèrent qu’un coup d’œil, absorbées par la bataille.

— On ne peut pas !

— Venez tout de suite !

Les yeux de Rika s’écarquillèrent, tandis que ceux de Dasha se plissaient, mais elles s’empressèrent d’obtempérer. Elle ne devait pas oublier qu’elle les avait toujours traitées avec douceur, avec gentillesse…

Juste avant que les triplées ne se rejoignent, un vampire se rua sur Kaderin. Sébastian intercepta l’adversaire en lui assenant un coup féroce : la voie était libre pour les deux arrivantes.

Quand Kaderin se retrouva enfin en présence de ses sœurs, elle resta sans voix. D’une main tremblante, elle effleura le menton volontaire de Dasha puis chassa une mèche brune du front de Rika.

— Vous… vous m’avez tellement manqué, balbutia-t-elle, avant de se mettre à pleurer.

— On t’a manqué ? répéta Dasha. Mais… quand est-ce que tu t’es changée ? Quelle drôle de tenue. Et qui c’est, ce type ?

— Je n’ai pas le temps de vous expliquer maintenant. (Kaderin se forçait à être abrupte.) Vous allez toutes les deux mourir pendant cette bataille. D’ici dix minutes, un vampire va vous décapiter. Par ma faute.

Comme Dasha ouvrait la bouche, elle leva la main pour l’empêcher d’intervenir et continua :

— Il faut faire vite. Je vis maintenant à mille ans dans l’avenir. Cette nuit, je vous y emmène, vous aussi. Je suis désolée, mais vous allez perdre un millénaire. À jamais.

— Ma foi, on le perdrait de toute manière si on mourait, déclara Dasha, pragmatique, sans battre d’un cil.

Rika posa les mains sur ses genoux, se pencha en avant et cracha du sang.

— Je ne comprends pas, Kaderie. (Elle était déjà blessée plus gravement qu’elle ne l’avait jamais été.) Comment est-ce possible ?

— Vous savez bien qu’il arrive des choses extraordinaires dans le Mythos… on en a déjà été témoins. On a même vécu nettement plus bizarre. Maintenant, il va juste falloir me faire confiance, parce que si on ne repasse pas le portail temporel très vite, je risque de disparaître.

— On ne pourra plus jamais se regarder dans une glace si on quitte le champ de bataille, protesta Dasha. Tout le monde nous traitera de lâches. Y compris toi, si ça se trouve.

— Non, riposta Kaderin. Tout le monde se souviendra que vous êtes mortes en vaillantes guerrières.

— Personne ne maudira notre nom ? insista sa sœur.

— Jamais, je te le jure.

Elle se tourna vers Sébastian.

— Et lui, qui est-ce ?

— C’est mon ami, Sébastian. Je… je l’aime.

Dasha et Rika le fixèrent un instant avec attention. Les corps s’entassaient autour de lui. C’était un guerrier magnifique, puissant, tout ce qu’une Valkyrie rêvait de trouver chez un homme.

— Il a l’air très aimable, je trouve, déclara Dasha après avoir lâché un petit sifflement.

Rika cracha encore un peu de sang.

— Il est beau, Kaderie. (Elle s’appuya sur son épée, suprême signe de faiblesse, car jamais une Valkyrie ne faisait une chose pareille si elle pouvait l’éviter.) Bon, d’accord, emmène-nous. Ce sera une autre aventure.

Dasha, elle, n’était pas convaincue.

— L’avenir n’est pas trop paisible, au moins ? La guerre continue ?

— Oui, il reste des vampires sanguinaires.

— Des vampires sanguinaires ? Parce que certains ne le sont pas, peut-être ? Tu t’exprimes bizarrement, Kaderie.

Rika trébucha.

— J’ai la tête qui tourne. Appelle ton ami. Kaderin laissa tomber son épée pour la soutenir.

— Une seconde, ma puce.

Sébastian était entouré de cadavres de vampires lorsqu’il repéra la Kaderin du passé en train de se battre.

Il la regarda, fasciné.

Vêtue de sa cuirasse dorée, armée de son épée et d’un fouet, c’était une guerrière redoutable, malgré ses blessures. Les ordres qu’elle hurlait et les cris de rage qu’elle poussait parfois couvraient le tonnerre assourdissant.

Il lui suffisait de pointer son épée dans telle ou telle direction pour commander aux sorcières et aux tireuses valkyries, dont les flèches enflammées s’abattaient sur l’ennemi en une pluie de comètes éclatantes.

Du sang lui coulait de la tempe et du coin des lèvres, elle s’était fait des tresses en prévision de la bataille, et ses yeux avaient viré à l’argenté. Chaque fois qu’elle abattait un adversaire, elle apposait machinalement sa marque sur sa tête.

Son amant du futur était frappé d’admiration…

Un vampire massif, armé d’une hache énorme, glissa juste derrière elle sans qu’elle en ait conscience, dans la mêlée. Sébastian se raidit, prêt à glisser, lui aussi…

— Bastian, non ! cria Kaderin, derrière lui, couvrant le fracas des combats. (Il pivota. Elle portait dans ses bras sa sœur blessée, mais le rejoignait en courant.) Je te tuerais !

Il se laissa entraîner, alors que son être tout entier refusait de la laisser derrière lui. De retour au portail temporel, elle ajouta :

— D’ailleurs, je me suis débarrassée de cette sangsue, même si tu as du mal à le croire. Ce salopard a passé la nuit à porter sa hache comme chapeau.

Sébastian la serra brusquement contre lui et l’embrassa, plein de fierté.

— Tu étais magnifique.

— J’étais ?

— Tu es magnifique. Tu le seras toujours.

— Allez, on rentre à la maison.

Elle souriait, émue.

Ils avaient réussi à sauver ses sœurs. Les triplées étaient là, réunies autour de lui. Il avait l’impression d’être un géant.

Mais l’épée de Kaderin brillait, abandonnée, quelques mètres plus loin.

— Tu ne vas pas la laisser ? Attends, je vais la chercher…

— Pas la peine. Ça n’a pas d’importance. Il faut y aller !

Il savait parfaitement qu’elle y tenait, alors il glissa, d’abord pour la récupérer puis pour rejoindre les triplées.

— Vampire ! cria la blessée d’une voix faible.

Une lame s’insinua entre les côtes de Sébastian.

La Valkyrie Sans Coeur
titlepage.xhtml
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_000.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_001.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_002.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_003.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_004.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_005.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_006.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_007.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_008.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_009.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_010.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_011.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_012.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_013.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_014.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_015.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_016.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_017.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_018.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_019.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_020.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_021.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_022.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_023.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_024.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_025.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_026.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_027.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_028.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_029.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_030.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_031.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_032.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_033.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_034.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_035.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_036.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_037.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_038.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_039.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_040.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_041.html
Cole,Kresley-[LesOmbresDeLaNuit-2]LaValkyrieSansCoeur_split_042.html